Mea Culpa
Texte : Jean-Max Lecaille
Mardi 4 décembre : "
Le petit âne est mort." Ma voisine me regarde tristement en prononçant ces mots. Je suis triste aussi. Très. Je savais que c'était inquiétant mais je ne m'attendais pas à une fin aussi rapide et aussi tragique. Pauvre petit âne mort de chagrin à cause de l'incompréhension des hommes, vétérinaire compris ! Mais revenons au début.
Deux jours plus tôt, le samedi 2 décembre... J'adore aller acheter mes légumes chez mes nouveaux voisins ; un jeune couple de cultivateurs qui vient de s'installer. Lui travaille dans les champs et elle vend leur production dans un hangar joliment décoré. Ils sont déjà venus dans mon auberge est savent mon amour des chevaux.
Je choisis soigneusement mes bottes de poireaux nacrés quand mon nouveau voisin m'interpelle : "
Je peux vous demander un conseil ?" "
Bien sûr..." "
Notre âne ne mange plus, le vétérinaire dit que c'est parce que je lui donne trop." Je demande la ration, qui me paraît correcte, et je pose une question : "
Vous me parlez d'un âne, mais vous en aviez deux..." "
Oui, mais nous avons vendu l'ânesse la semaine passée..."
Aïe ! J'essaie d'expliquer que les ânes peuvent aussi avoir des sentiments et qu'ils peuvent déprimer si on les prive de leur amour... Je sens le doute chez mon cultivateur qui me regarde comme je regarde les adeptes d'une secte... Sa femme nous rejoint et je crois pouvoir la convaincre plus facilement... J'explique que cela peut être très grave, que les équidés sont de grands sentimentaux, qu'ils s'attachent profondément, que la séparation est pour eux une épreuve terrible...
Mais le vétérinaire a dit que tout était dû à une trop forte ration de nourriture... Ah ! La science a parlé : un âne jeûne pendant trois jours parce qu'il a trop mangé ! Que faire ? Je déborde de travail, mon auberge est pleine ce samedi soir. Alors j'essaie d'être convaincant : "
Ne le laissez pas seul, câlinez-le, parlez-lui, sortez-le, redonnez-lui le goût de vivre, offrez-lui un compagnon. Faites bien attention s'il reste couché, il pourrait faire une colique foudroyante. Une dépression chez un cheval -ou un âne- est à prendre très au sérieux."
Je pars... Je raconte l'histoire à ma femme qui me reproche aussitôt de ne pas être allé chercher l'âne pour le mettre dans notre pâture avec les juments... Il fait nuit, les clients entrent...
Rideau.
Voilà. Tout est dit. Une bien triste histoire où je me sens coupable... Que des néophytes ne croient pas aux sentiments des animaux, c'est courant ! Qu'un vétérinaire se refuse la psychologie équine, déjà vu ! Mais moi ! Je connais tellement les chevaux ! J'ai tout de suite compris le problème et le chagrin de ce petit âne, et qu'ai-je fait ? J'ai essayé d'expliquer ! À quoi bon agir quand le temps est compté ?
Bien sûr, il est très délicat de s'occuper des affaires des autres, mais là, j'aurais dû ! Le fameux droit d'ingérence dont on parle tant... Je regrette beaucoup de ne pas avoir eu ce réflexe pour ce petit âne. Ma femme avait compris. Le petit âne est mort. Je suis triste, mais je le jure : je me donne dès aujourd'hui le droit d'ingérence. En souvenir d'un petit âne follement amoureux.Source : Cheval Magasine de Février.